Covid-19 : le loyer d’un commerce fermé est-il dû ?

L’épidémie de Covid-19 pose le problème du paiement des loyers afférents aux périodes de fermeture administrative, notamment pour le secteur de la restauration. Un dispositif réglementaire a accordé un sursis de paiement aux locataires pour le premier confinement (14 mars – 23 juin 2020) puis pour le second (30 octobre 2020 – 15 décembre 2020). Toutefois, les loyers ne sont pas annulés. Passée la période concernée, ils redeviennent exigibles. Il revient alors aux Tribunaux de trancher : le loyer d’un commerce fermé pour raisons sanitaires est-il dû ?

 

En faveur de l’annulation du loyer, plusieurs moyens de droit sont invoqués : la force majeure, l’imprévision, la perte de la chose louée, l’obligation de délivrance du bailleur.

 

L’événement de force majeure est extérieur, imprévisible et surtout irrésistible : la partie qui l’invoque doit se trouver dans l’impossibilité matérielle d’exécuter l’obligation considérée – en l’occurrence, de payer le loyer. La Cour de cassation considère de longue date que l’impossibilité de payer une somme d’argent est de nature économique, et non matérielle. Dit autrement, l’insolvabilité, quelle qu’en soit la cause, ne constitue jamais un cas de force majeure. Le locataire qui ne peut régler son loyer peut obtenir un délai, à défaut obtenir l’ouverture d’une procédure collective. Il ne peut obtenir l’annulation du loyer sur ce fondement.

 

Depuis le début de l’épidémie la plupart des décisions ont appliqué cette règle. En sens opposé, un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 décembre 2020, statuant en référé, a retenu que la fermeture administrative d’un commerce était « susceptible » de constituer un cas de force majeure. Il ne faut sans doute pas en exagérer la portée : la Cour n’a pas examiné le moyen au fond. In fine, elle a condamné le locataire et prononcé la résolution du bail pour d’autres motifs.

 

L’imprévision est a priori moins exigeante. Elle oblige les parties à négocier une adaptation de leur contrat en cas de « changement de circonstances imprévu ». A défaut d’accord, le Juge peut décider la modification ou la résiliation du bail à l’issue d’une procédure au fond. La portée exacte de ce texte issu de la réforme de 2016 est encore inconnue. Une décision en référé a jugé l’épidémie de Covid-19 « susceptible » de constituer un cas d’imprévision. Le bénéfice pour le preneur n’en est pas moins lointain : pendant la procédure d’imprévision, chaque partie doit exécuter ses obligations. Autant dire que le preneur n’est pas déchargé du loyer.

 

Littéralement, la perte de la chose louée s’applique à la destruction totale ou partielle du local par cas fortuit, tel que l’incendie ou le dégât des eaux. Le locataire peut alors obtenir la résiliation du bail ou une réduction du loyer. Mais la jurisprudence a parfois assimilé une impossibilité définitive d’exploiter l’activité objet du bail dans les locaux loués à une destruction matérielle de l’immeuble. Une Cour d’appel a ainsi jugé que l’interdiction définitive de faire circuler des poids lourds sur la voie permettant d’accéder aux locaux loués justifiait la résiliation du bail d’une société de transport routier. La solution est parfaitement fondée.

 

Le Juge de l’Exécution de Paris est allé plus loin en retenant le 20 janvier 2021 que l’interdiction temporaire d’exploiter un commerce non-essentiel était « assimilable » à une perte partielle de la chose louée et « libère le preneur de l’obligation de payer le loyer tant qu’il ne peut jouir » du local. De fait, l’interdiction d’ouvrir un commerce fait obstacle à l’exercice de l’activité objet du bail. Mais la comparaison s’arrête là. A la différence des cas précédents, elle est temporaire, et non définitive. Surtout, elle ne découle pas de la situation ou de l’état de l’immeuble loué. En faire supporter la charge financière au bailleur ne relève pas de l’application du texte.

 

Pour la même raison, les Tribunaux ont jusqu’à présent rejeté le moyen tiré d’un manquement du bailleur à son obligation de délivrance. Le bailleur doit mettre à la disposition du preneur un local lui permettant d’exercer une activité conforme à sa destination. A l’évidence, le bailleur ne manque pas à cette obligation parce que l’activité du preneur fait l’objet d’une interdiction administrative. Les Tribunaux ajoutent que si le preneur ne peut recevoir le public, il peut toujours accéder physiquement à son local et l’exploiter partiellement si son activité s’y prête. L’essor du Click-and-Collect valide l’argument.

 

On le voit : Un an après le début du premier confinement, la question n’est pas définitivement tranchée. Ce flou juridique confirme l’intérêt d’un accord amiable sur le sort de ces trois mois de loyers – à comparer à la durée moyenne de neuf ans d’un bail commercial. Surtout, il invite les parties à revoir leurs baux et à prévoir qui, du bailleur ou de preneur, supportera la charge du loyer en cas de nouvelles mesures sanitaires.